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dimanche 15 février 2009

Talk Talk : T.C. Boyle


T.C. Boyle
Talk Talk
Grasset 2007
21,90 euros 440 pages
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Bernard Turle
ISBN : 978-2-246-70271-9

Thriller identitaire

« Elle était en retard, toujours en retard…mais d’abord, elle n’avait pas retrouvé son sac et une fois qu’elle l’avait retrouvé, c’étaient ses clés qu’elle avait cherchées …» Pour Dana Halter, l’héroïne du onzième roman de T.C. Boyle, la journée commence franchement mal.
Pas question d’arriver en retard chez le dentiste puis par conséquent à son travail.
Alors si griller un stop dans une rue quasi déserte peut faire gagner quelques minutes …
Cependant certains jours le sort s’acharne – la voiture de police qu’elle aperçoit trop tard
et son occupant qui en descend pour la verbaliser. « Dès qu’elle ouvrit la bouche, elle vit son visage se métamorphoser. Elle avait l’habitude. » En effet, plaider sa cause quand on est sourde face à « Une andouille, un crétin, un demeuré. Un Néandertalien. » relève de la gageure.
Donc ce jour-là, suite à la vérification de routine de son permis, Dana est arrêtée et se retrouve au poste. L’interprète pour les malentendants dépêché sur place lui apprend alors l’ampleur de la catastrophe « De nombreux mandats d’arrêt ont été lancés contre vous, commença-t-il. dans le comté de Marin, dans les comtés de Tulare et LA, ainsi qu’à l’extérieur de l’état … Des mandats d’arrêt ? Quels mandats … » La réponse est hallucinante : « défaut de comparution pour différentes inculpations devant plusieurs tribunaux, à différentes dates, au cours des deux dernières années. Emission de chèques sans provision, attaque à main armée – et ainsi de suite. »
Pour Dana, le cauchemar continue. Elle n’a bien sûr jamais commis ce dont on l’accuse ni mis les pieds dans les différents endroits qu’on lui énumère. Cependant à l’exception de Bridger, son petit ami, personne ne semble envisager qu’il puisse s’agir d’une erreur ou plus exactement d’une usurpation d’identité et Dana se retrouve en prison, en compagnie de détenues qui ne sont pas des enfants de chœur … Lorsque la vérité est enfin rétablie, Dana ne se satisfait guère des plates excuses de la juge. Renvoyée de l’école pour sourds dans laquelle elle enseignait, contrainte à de multiples démarches pour enrayer une spirale de dettes qu’elle n’a pas contractées, exaspérée par l’impossibilité d’un quelconque recours, la jeune femme n’a plus qu’une idée en tête : aidée de Bridger, retrouver l’imposteur et se venger.
Ambiance kafkaïenne, portrait au vitriol d’administrations dépassées servis par de notoires incompétents, ironie mordante, T.C. Boyle démarre très fort dans cette première partie.
Il soutient le rythme dans les trois suivantes qui mettent en scène une version road-movie du jeu du chat et de la souris. Les rôles s’inversent rapidement.
Grâce au cousin de l’employeur de Bridger, les limiers néophytes retrouvent la trace du maléfique William Peck Wilson qui fait écho au William Wilson, narrateur éponyme de la troublante nouvelle d’ Edgar Allan Poe – réflexion psychanalytique avant l’heure sur le thème du double et de l’identité .
Au fil des chapitres T.C. Boyle alterne les points de vue des trois protagonistes, étoffant singulièrement le personnage de Wilson. Loser, ex-taulard, parasite sans scrupule (mais paradoxalement sentimental, une faiblesse qui le perdra), ce dernier s’est offert une belle revanche sur la vie devenant richissime grâce à l’utilisation dévoyée et culottée des infinies possibilités qu’offre la technologie. Un drôle de self-made man emblématique d’un rêve américain perverti. Pillant sans vergogne l’intimité de ses victimes dont il s’approprie le nom et les références, il existe en étant un autre. Impossible pour lui d’abandonner vie facile et signes extérieurs de richesse dont sa maîtresse, une très renversante bimbo russe, constitue le plus beau fleuron. Impossible de laisser ces deux minables le faire arrêter. Il faut donc fuir et s’engager de ce fait dans une voie sans issue.
Une course-poursuite à travers les Etats-Unis s’engage alors. Dana et Bridger se relayent au volant d’une vieille Jetta et traquent Wilson, Natalia et la fille de celle-ci confortablement installés dans une Mercedes flambant neuve. Voyage initiatique pour Dana qui se découvre peu à peu telle qu’elle est, son doppelgänger agissant comme un révélateur. Voyage qui conduit à l’inévitable confrontation, objet de la dernière partie du roman qui se révèle assez décevante. La nouvelle de Poe s’achevait magistralement, offrant au lecteur la clé de son interprétation, il en va différemment pour Talk Talk. Difficile en effet de comprendre ce que T.C. Boyle cherche à prouver.
Si le plaisir est un peu gâché par cette chute déconcertante, T.C. Boyle n’en traite
pas moins habilement son sujet – le vol d’identité qui s’élargit à une étude des rapports entre identité et langage. Explorant à chaque nouveau roman un thème différent, du sexe (Le cercle des initiés, Grasset, 2005) à la maladie mentale (Riven Rock, Grasset 1998) en passant par l’immigration clandestine (América, Grasset 1997) ou les hippies (D’amour et d’eau fraîche, Grasset, 2003), il analyse et décrypte la société américaine sans moralisme aucun. Démontrant au passage que l’on peut être profond et fin tout en restant accessible.

(Mis en ligne le 02/11/2007 sur parutions.com)

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