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dimanche 15 février 2009

Le Cercle des initiés : T.C. Boyle




Le Cercle des initiés
T.C Boyle
Grasset 2005
502 pages
Traduit de l'américain par Bernard Turle

Démiurge sexuel

Au beau milieu du vingtième siècle, le professeur Alfred Kinsey, docteur ès sciences de l’université d’Indiana, bouscule les préjugés et les tabous fermement ancrés dans la puritaine Amérique. Il publie en 1948, Sexual Behavior in the Human Male puis, en 1953, Sexual Behavior in the Human Female, ses deux célèbres Rapports sur la sexualité des hommes et des femmes. S’appuyant sur des milliers de données recueillies au cours d’entretiens individuels, menés dans toutes les couches de la population, aux quatre coins des Etats-Unis, il révèle les multiples aspects du comportement sexuel de ses compatriotes (relations pré-maritales et extra-conjugales, homosexualité, masturbation, sexualité enfantine, mais aussi pédophilie ou zoophilie). Adulé puis violemment rejeté, le révolutionnaire Kinsey suscite encore de nos jours un vif intérêt, expliqué en partie par l’importance capitale de son travail mais aussi par une personnalité complexe et tourmentée, finement analysée dans PrivaAlfred C. Kinsey : A Public / Private life, biographie que l’historien James H. Jones lui a consacrée en 1997.
Dans Le Cercle des initiés, son dixième roman, T.C. Boyle habille la réalité historique des atours de la fiction – technique précédemment utilisée dans The Road to Wellville (1993) où il se penche sur J.H. Kellogg, le magnat des céréales, ou dans Riven Rock (1997) qui met en scène Stanley Mc Cormick, richissime schizophrène, fils de l’inventeur de la faucheuse. Cette fois, Boyle recrée autour de Kinsey (Prok pour les intimes) et de sa femme Clara, l’équipe qui a fait partie de l’aventure.
Premier admis dans le cercle, John Milk, le narrateur, rencontre Prok en 1939 à l’occasion de son célèbre cours sur le mariage, destiné à expliquer aux étudiants l’intimité de la vie conjugale. Zoologiste distingué, expert en taxinomie, Kinsey a pris conscience de la méconnaissance générale en matière de sexe. Il se donne alors pour mission d’étudier le comportement sexuel humain de façon scientifique afin d’éradiquer les attitudes répressives dues à l’ignorance. Toujours en quête de nouveaux témoignages, Kinsey a besoin d’aide et John devient son premier assistant. Jouant le rôle du père incestueux, Prok initie le candide jeune homme aux amours masculines et lui offre avec joie le corps de Clara. Le scientifique rigoureux pour qui l’anormalité réside dans le «célibat» ou «l’abstinence», se double en effet d’un pornographe enthousiaste, adepte d’une sexualité débridée – élément que ses détracteurs utiliseront à volonté afin de mettre à mal le sérieux de l’entreprise.
Le projet suivant une trajectoire exponentielle, le cercle admet bientôt de nouveaux membres, Purvis Corcoran, le beau psychologue, puis Rutledge, «le fin du fin universitaire», et enfin Aspinall, le photographe qui ajoute une dimension filmée aux ébats examinés. Cependant, sous couvert d’une observation clinique respectable de réactions physiologiques, Prok impose arbitrairement à ses intimes échangisme, voyeurisme et tutti quanti ! Les épouses des initiés sont également priées de se soumettre aux désirs du Maître. Pour les besoins de la cause, bien sûr ! Or Iris, la femme de Milk, se montre particulièrement hostile aux déviances qui mettent son mariage en danger. Perdu entre fascination pour son génial mais odieux mentor et amour sincère pour Iris, Milk, dont on regrette souvent la naïveté déconcertante, tergiverse jusqu’à ce que l’inacceptable se produise…
Malgré ce narrateur trop falot qui peine à remporter l’adhésion du lecteur, T.C. Boyle réussit tout de même une analyse percutante des rapports entre sexe et sentiments. Sans moralisme aucun, il dénonce les limites d’une «vision mécaniste» des relations et propose donc une vision plutôt romantique de «l’animal humain» !

(Mis en ligne le 02/11/2005 sur parutions.com)

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