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samedi 14 février 2009

Mille morceaux : James Frey


James Frey
Mille morceaux
Traduit de l’américain par Laurence Viallet
Editions Belfond 2004

Fureur de vivre

"Je suis réveillé par le vrombissement d’un moteur d’avion…. Je porte la main à mon visage. Mes quatre dents de devant ont disparu, j’ai un trou dans la joue, mon nez est cassé…. J’examine mes vêtements, ils sont couverts d’une mixture bariolée, mélange de bave, de morve, d’urine, de vomi et de sang. "
Automne 1993, suite à une chute dont il ne se rappelle pas les détails et grâce à l’intervention de ses parents, James Frey, vingt trois ans, est admis dans le meilleur centre de désintoxication du pays, Hazelden, situé dans le Minnesota qui affiche, un taux de réussite de presque 20%.
« Je sais ce que je suis et je sais ce que j’ai fait et je sais pourquoi je suis sur le point de mourir. Je suis Alcoolique et je suis Toxicomane et je suis Délinquant. » répète-t-il à l’envi.
Dix années de trous noirs à répétition, suite à une absorption de plus en plus massive de substances en tout genre ne lui laissent aucun choix. Le verdict médical tombe rapidement, la moindre rechute sera fatale.
Le corps saccagé et l’esprit dévasté, James affronte les insupportables crises de manque et les cauchemars. Deux jours après son admission, il décide d’en finir. « Je vais partir d’ici, je vais trouver un truc à boire, je vais trouver un truc à fumer et je vais boire et je vais fumer jusqu’à ce que je meure. »
Pourtant trois cent cinquante pages plus tard, James est toujours vivant.
Mille morceaux bouleverse par la force du témoignage. « J’ai écrit ce livre parce que tout ce que j’ai lu sur la dépendance était trop éloigné du véritable enfer qu’elle représente. » Frey dénonce violemment les représentations édulcorées de la toxicomanie et l’apologie que certains artistes font des drogues dures.
Il décrit pas à pas son cheminement et la métamorphose d’une fureur intérieure destructrice en une force vitale.
Les sentiments dont il se sentait incapable redeviennent possibles. Il découvre en Leonard, le gangster, figure de la Mafia, un véritable ami et voit en Lilly, prostituée, crackée, la promesse d’un amour salvateur. La tendresse qui resurgit dans les petits gestes du quotidien émeut profondément.
Aux antipodes des discours habituels sur la dépendance, James Frey refuse catégoriquement le statut de victime. « La dépendance, c’est un choix. Dois-je ou ne dois-je pas passer à l’acte. Vais-je en prendre ou ne pas en prendre. Vais-je être un pitoyable abruti de drogué et continuer de me gâcher la vie ou vais-je dire non et tenter de rester abstinent et de vivre dignement. C’est un choix. Chaque fois. »
Il rejette donc radicalement les Douzes Etapes des Alcooliques Anonymes que le centre lui présente comme la seule méthode possible. Estimant qu’il s’agit de remplacer une dépendance par une autre, refusant de placer son destin dans les mains de Dieu, il se forge sa propre méthode, fruit d’un orgueil démesuré. Le pari semble alors risqué - prouver à tous les thérapeutes qui le jugent perdu qu’il peut vaincre ses démons, qu’il peut dire non au besoin compulsif par la seule force de sa volonté. Dix ans plus tard, James Frey est toujours abstinent.
L’intérêt du récit ne fait aucun doute.
Sa mise en forme par contre n'était pas évidente. Comment rendre compte d'une réalité effroyable puis d'une résurrection sans mièvrerie ni clichés ?
James Frey vise très haut, avouant avant la sortie de Mille morceaux aux Etats-Unis, briguer le titre de meilleur écrivain de sa génération.
Derrière le langage cru, les répétitions parfois lassantes, l'emploi hasardeux de lettres majuscules sur les noms communs ou l'absence de ponctuation se cache le désir un peu trop voyant d'écrire un livre culte, originalement poétique. Dommage que cette fois, James Frey n'ait pas fait preuve d'un peu de modestie !

(sitartmag - avril 2004)

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