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dimanche 15 février 2009

The Clerkenwell Tales : Peter Ackroyd


Peter Ackroyd
The Clerkenwell Tales
Chatto&Windus 2003

« Recréation » originale

Romancier, poète et biographe anglais, Peter Ackroyd démontre une nouvelle fois son aisance à faire rimer imagination et érudition.
Maître incontestable en jeux d’écriture, virtuose de l’intertextualité, il avoue d’ailleurs que rien en littérature ne peut être entièrement neuf. Il puise donc avec gourmandise dans un passé littéraire et historique qu’il remodèle et réinvente à sa guise. Cette méthode s’applique avec succès aux Clerkenwell Tales.
Hommage à Geoffrey Chaucer, bien sûr. Dans ses célèbres Contes de Cantorbéry (écrits à la fin du quatorzième siècle), le poète met en scène des pèlerins, qui, réunis dans une auberge londonienne s’apprêtent à partir pour Cantorbéry afin d’y recevoir la bénédiction de Saint Thomas Becket. Pour que le voyage paraisse moins long, l’aubergiste propose d’arbitrer une sorte de joute verbale, dont le gagnant se verra offrir un bon repas. A tour de rôle, les protagonistes racontent donc leur conte.
De par son titre, chaque chapitre des Clerkenwell Tales fait écho à l’un d’entre eux et Ackroyd, à l’instar de son célèbre ancêtre, clôt le roman par des notes personnelles.
Néanmoins alors que Chaucer offre une succession de tableaux, Ackroyd utilise chaque conte pour apporter des éléments supplémentaires à la construction d’un tableau d’ensemble. Tous les personnages font partie de la même histoire et fournissent des perspectives différentes, permettant ainsi à l’intrigue de se complexifier. Malgré cette structure remue-méninges,
entre puzzle et kaléidoscope, le romancier ne perd jamais de vue son fil conducteur :
Londres, 1399, alors que Henry Bolingbroke et son armée montent sur la capitale dans le but avoué de déposer l’autocrate Richard II, des conspirateurs menés par le moine augustin, William Exmewe s’activent dans l’ombre. Quant à Sœur Clarice, nonne au couvent de Clerkenwell, elle inquiète les officiels et fascine le peuple par ses prophéties inquiétantes qui prennent corps dans la réalité.
Ackroyd s’appuie donc sur des personnages réels (il fournit à la fin du roman des explications très intéressantes – mentionnant par exemple une lettre écrite par W. Exmewe sur ses liens avec l’organisation secrète Dominus, d’une importance essentielle dans la genèse de son roman) et leur en adjoint d’autres, imaginaires, mais tout aussi convaincants, qui lui permettent de brosser une fresque passionnante de la période médiévale. Le moindre détail sonne vrai- jusque dans la langue utilisée (authentique donc source de certaines difficultés pour le lecteur !). Il dépeint à merveille l’état des sciences et de la médecine, encore tributaire des humeurs et de l’astrologie, la violence des rapports humains ou encore la mainmise d’une église corrompue dont certains membres apprécient fort la bagatelle. Cependant, malgré la somme de connaissances impressionnante dont il fait preuve, Ackroyd ne rédige pas un savant traité sur le Moyen Âge.
Comme à son habitude, il évoque d’abord une atmosphère particulière et s’attarde sur les goûts, les odeurs, les couleurs ou les sons. À nouveau Londres lui sert de décor. Rien d’étonnant à cela. Partie intégrante de son œuvre, la capitale anglaise, qu’il considère comme un organisme vivant, reste son sujet de prédilection ( il lui a d’ailleurs récemment consacré une somptueuse biographie – véritable mine de renseignements dont on ne peut que conseiller la lecture.) Le quartier de Clerkenwell, déjà au centre de The House of Doctor Dee, fascine Ackroyd qui y voit un foyer d’épanouissement pour la gauche radicale et révolutionnaire. Wat Tyler (qui a mené la révolte paysanne de 1381), Lénine y sont passés, le lieu abritant aujourd’hui The Marx Memorial Library et les locaux du Guardian.
Modeste, Ackroyd ne se considère pas comme quelqu’un d’important. Il possède pourtant une place à part dans le paysage littéraire britannique. Celle d’un « recréateur » de génie. The Clerkenwell Tales en fournissent une excellente preuve.

(Mis en ligne en février 2004 sur sitartmag)

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