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samedi 14 février 2009

La chute de Troie : Peter Ackroyd

La chute de Troie
Peter Ackroyd
Traduit de l'anglais par Bernard Turle
ISBN : 978-2-84876-119-0
240 pages
18 €
Editions Philippe Rey

Héros homérique

S’approprier et réinventer le passé – qu’il s’agisse d’Histoire ou de littérature - telle est sans doute la manipulation favorite de Peter Ackroyd. Figure de proue de la littérature postmoderne anglaise, adepte invétéré de l’intertextualité, il mêle savamment réalité et fiction, authenticité et usurpation, dans des jeux d’écriture sophistiqués révélateurs d’une insondable érudition.
De biographies ouvertement romancées (Chaucer, Shakespeare, Dickens … ou dans une veine différente l’époustouflante biographie de Londres) en pastiches originaux (Le testament d’Oscar Wilde, Chatterton, La maison du Docteur Dee, Le Golem de Londres, Le complot de Dominus …), Peter Ackroyd s’est surtout concentré sur l’héritage culturel anglophone.
Petite nouveauté donc avec La chute de Troie, son dernier roman pour lequel il s’inspire de l’archéologue d’origine allemande, Heinrich Schliemann (1822-1890) qu’il transforme en personnage mythique, Heinrich Obermann, le bien-nommé qui tient à la fois du démiurge, du surhomme et du demi-dieu.
Tout comme son modèle, Obermann, né pauvre, a fait fortune dans les affaires avant de devenir archéologue. Animé d’une conviction inébranlable, il veut prouver au monde que les poèmes d’Homère décrivent des vérités géographiques et historiques, quitte à manipuler, voire tronquer la réalité lorsqu’elle ne correspond pas à ses attentes et à négliger volontairement les pratiques archéologiques en vigueur, préférant l’instinct à toute analyse scientifique.
C’est sur le célèbre épisode des fouilles d’Hissarlik en Turquie que se concentre La chute de Troie.
Accompagné de Sophia, la toute jeune femme grecque qu’il vient d’épouser, Obermann rejoint le chantier de fouilles. Qu’il soit en train de mettre au jour les ruines de Troie ne fait aucun doute pour lui et ceux qui osent le contredire connaissent des fortunes diverses tout comme disparaissent opportunément les multiples preuves qui permettent de mettre à mal plusieurs de ses théories (en particulier sur les guerriers troyens, selon lui d’origine européenne et de race noble) Aide divine ou pur hasard ? Obermann semble invincible et finit par se croire immortel. Ce monstre d’autosatisfaction, tyrannique, fort en gueule et incapable de la moindre remise en question n’est pas franchement sympathique ! P.Ackroyd ne laisse pas le lecteur avoir accès aux pensées de son personnage principal et privilégie à dessein le point de vue de Sophia. Ce choix permet de comprendre les raisons d’une excavation parallèle – celle du passé d’Obermann par son épouse dont les sentiments évoluent au fil du roman passant de l’admiration à une forme de répulsion
L’orgueil démesuré qui mène aux égarements les plus fous et à la chute finale, le schéma est familier mais comme toujours P. Ackroyd sait s’écarter des sentiers trop balisés.
Mises en abyme successives, foison d’échos littéraires et mythologiques, richesse de la réflexion - La chute de Troie constitue un vrai plaisir de lecture remue-méninges !

(Mis en ligne le 10/09/2008 sur parutions.com)

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