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samedi 14 février 2009

Le Corps : Hanif Kureishi


Hanif Kureishi
Le Corps
(titre original : The Body and Seven Stories)
Traduit de l’anglais par Mona de Pracontal
Christian Bourgeois éditeur, 2003

Je est un autre ?

Au bout du compte, un seul sujet pour l’artiste. Quelle est donc la nature de l’expérience humaine ? Qu’est-ce donc qu’être vivant, que souffrir, et qu’est-ce qu’aimer une personne ou avoir besoin d’elle ? Dans quelle mesure connaît-on autrui ? Ou soi-même ? Autrement dit, qu’est-ce donc qu’un être humain ?
(Hanif Kureishi – souvenirs et divagations)
L’identité, la connaissance de soi et des autres - thèmes récurrents dans l’œuvre d’Hanif Kureishi - trouvent dans Le Corps un nouveau souffle. Laissant de côté les éléments par trop personnels qui foisonnaient dans Intimité ou Des Bleus à l’amour par exemple, l’hédoniste prend du recul, allant jusqu’à intituler l’une des nouvelles du recueil Régime sec, comble de l’ironie pour un adepte du credo « sex, drugs and rock’n’roll ». Signe du temps qui passe ? Hanif deviendrait-il sage à l’image de ces philosophes qu’il a étudiés sur les bancs de l’université ? Ses réflexions en tout cas prennent une dimension nouvelle et le ton d’ensemble se fait plus grave.
Au centre de plusieurs nouvelles, on retrouve les relations parents/enfants déjà si joliment mises en scène dans un précédent roman, Le Don de Gabriel. Tendre récit d’un apprivoisement, entre amour et haine, Le Vrai Père constitue une réussite en la matière. Dans Au revoir maman, Harry se rend sur la tombe de son père en compagnie de sa mère, atmosphère tendue pour un voyage initiatique dont il ressort transformé.
Transformation d’une nature différente pour le héros du Corps. Changer de peau en restant soi. Adam, 65 ans, dramaturge de renom accepte d’échanger son vieux corps contre un neuf, « une location de 6 mois » précise-t-il, juste pour voir ! Un pur esprit qui se soumet aux désirs de son nouveau corps. Et entreprend de tracer la route. Alliage subtil de philosophie et de science-fiction. Descartes revisité. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », Rabelais donc, modernisé. Beaucoup d’humour aussi - tyrannie du tout-marchandisage , féminisme despotique, mâles épris des attributs de leur virilité …
Malheureusement pour lui, Adam comprendra trop tard - seule la conscience que l’homme a d’être mortel donne un sens à sa vie.
Au moment de son intervention Adam se rappelle un ami pour qui « la notion du moi, de l’individu séparé et conscient de lui-même,… a émergé à peu près en même temps que l’invention du miroir » Quelques heures plus tard, le nouvel Adam s’observe dans plusieurs miroirs « partout où je portais le regard, il y avait d’autres moi, beaucoup, beaucoup d’autres moi nouveaux, et ça finit par me donner le tournis. »
Dédoublement et connaissance de soi liés à nouveau dans Face à face avec toi. Mais ici, point besoin de miroir pour Ann et Ed qui se retrouvent voisins de …. Ann et Ed !
L’enfer, c’est nous, et nouveau clin d’œil. Cependant, la fin optimiste n’exclut pas la possibilité d’entrevoir le bonheur. Idée que l’on retrouve à plusieurs reprises dans le recueil.
Nouvelle philosophie donc pour un Hanif Kureishi qui semble revenu du seul plaisir. Le résultat est sans conteste harmonieux.

(Mis en ligne en juillet 2003 sur sitartmag)

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