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mercredi 22 septembre 2010

Girl meets boy





Ali Smith
Girl meets boy
L'Olivier 2010 / 18 € - 117.9 ffr. / 139 pages
ISBN : 978-2-87929-711-8
FORMAT : 14cm x 20,5cm
Traduction de Laetitia Devaux

Sens dessus dessous


Initialement paru dans la série ''Myths'' imaginée par l’éditeur écossais Canongate qui propose la réécriture originale d’un mythe connu par un auteur contemporain célèbre, Girl meets boy d’Ali Smith revisite celui d’Iphis, évoqué par Ovide dans ses Métamorphoses.

Ligdos, son père, ne souhaitant pas s’embarrasser d’une fille, Iphis, une jeune Crétoise, aurait dû être mise à mort à la naissance. Pourtant, suite aux conseils de la déesse Isis qui l'invite à garder l’enfant quel que soit son sexe, sa mère Téléthuse désobéit à son époux et choisit d’élever Iphis comme un garçon. Les années passent, Iphis tombe amoureuse de la belle Ianthé. Leur amour est certes réciproque mais Ianthé ignore tout de la vérité. La situation se complique à l’annonce des noces, souhaitées par les familles des deux tourterelles. Heureusement pour Iphis, Isis intervient et la transforme opportunément en garçon. «L’auteur des Métamorphoses avait besoin de lui, car il avait vraiment, vraiment besoin d’une histoire qui se finisse bien pour clore le livre 9 et continuer à écrire plein d’autres histoires bien plus obscènes sur des gens qui tombent malheureux à cause de choses terribles, amoureux de leur père, de leur frère, d’animaux incongrus, du fantôme de leur amant».

Sous la plume malicieuse d’Ali Smith, la légende subit, elle aussi, quelques métamorphoses. L’action se situe de nos jours à Inverness (ville natale de l’Ecossaise). Deux sœurs, Anthea et Imogen, vivent seules dans la maison qu’elles ont héritée de grands-parents suffisamment fantasques pour décider de partir un jour en mer et ne plus jamais revenir. Toutes deux travaillent pour Pure, une multinationale tentaculaire dont les dirigeants ne semblent guère préoccupés par les questions d’éthique. Alors qu’Imogen essaie de gravir les échelons, Anthea se demande bien pourquoi elle a accepté de participer à cette honte collective. Surtout lorsqu’en pleine réunion, elle voit par la fenêtre un activiste taguer le panneau de l’entreprise et se charger de rappeler chacun à sa conscience morale.

«Il était le plus beau garçon que j’avais jamais vu de ma vie. Mais on aurait vraiment dit une fille. Elle était le plus beau garçon que j’avais jamais vu de ma vie».

Tout comme dans la légende grecque, un amour passionné naît entre deux jeunes filles. Anthea tombe donc éperdument amoureuse de Robin mais nul besoin ici d’une intervention divine afin de rendre la relation possible. Pour Imogen, les certitudes et les repères réconfortants s’effondrent. D’autant plus qu’elle-même se sent attirée par Paul, un collègue qui pourrait bien préférer les garçons.

La trame peut paraître assez mince au départ, pourtant le roman se révèle très vite riche et complexe. Car au-delà d’une relecture inventive, il s’agit pèle-mêle d’un manifeste féministe et politique, d’une exploration délicate du chamboulement amoureux et du droit à la différence assortie d’une charge fracassante contre l’homophobie, mais aussi d’une réflexion sur le genre et l’identité sexuelle, aux accents délicieusement shakespeariens.

Girl meets boy est également un très bel exercice de style sur le pouvoir et le sens des mots qu’Ali Smith manipule avec une jouissance gourmande, livrant un texte qui tient du roman autant que du poème. Une frontière floue, des repères brouillés – la forme et le fond se répondent harmonieusement.

Florence Cottin
( Mis en ligne le 22/09/2010 )

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