Pages

vendredi 1 mars 2013

La Belle indifférence

La Belle indifférence
de Sarah Hall
Christian Bourgois 2013 /  15 €- 98.25  ffr. / 170 pages
ISBN : 978-2-267-02446-3
FORMAT : 12,0 cm × 20,0 cm

Éric Chédaille (Traducteur)


L'empire des sens

Toute incursion dans la prose poétique de Sarah Hall laisse admiratif. Après quatre romans magiques, la Britannique fascine à nouveau avec La Belle indifférence, son premier recueil de nouvelles qui compte sept histoires parfaitement ciselées dans lesquelles la violence qu'elle suggère dégage toujours autant de force que celle qu'elle décrit explicitement. La densité de l'ensemble s'explique aussi par le foisonnant réseau de correspondances et d'échos qu'elle établit entre paysages naturels et corporels, animalité et humanité, quotidien et universel. Quel qu'en soit le décor, le comté de Cumbrie (où est née Sarah Hall), Londres, l'Afrique du Sud ou un lac finlandais, chaque nouvelle raconte un fragment de vie révélateur et met en scène une protagoniste féminine qui se retrouve face à elle-même. Cinq femmes et deux jeunes filles.

Dans «Le parfum du boucher», Kathleen se lie d'amitié avec Manda, une dure à cuire qui fonctionne à l'instinct tout comme ses frères caractérisés par une bestialité que Kathleen choisira sciemment d'utiliser. Dans «La rivière dans la nuit», Dolly, comprend avant tout le monde que son amie Magda va mourir et part chasser pour lui confectionner une étole en vison qu'elle portera dans la tombe. Un geste dans lequel elle met tout son amour. Pourtant la mort de Magda, dont on pourrait supposer Dolly inconsolable, lui enseigne une vérité qu'elle n'imaginait pas : «Je pensais qu'elle allait me manquer et, de fait, son charme et sa gaieté me manquèrent. Sa douce franchise me manqua. Mais elle n'était nullement présente dans mes rêves. La vérité de la mort est chose singulière. Car quand ils nous quittent, les êtres chers sont comme s'ils n'avaient jamais été. En disparaissant de cette terre, ils disparaissent de l'air même. Ne restent que les landes et les montagnes, le monde matériel sur lequel nous nous trouvons et sur lequel nous régnons. Nous sommes les loups. Nous sommes les lions. Après tant de soirées à battre les berges avec les chiens et mes frères, absorbée par un bouillant dessein que je ne comprenais pas vraiment, je rêvais nuit après nuit de la rivière. Je la rêve en ce moment: rivière de parfums volés serpentant à travers notre paradis inversé».

Pour les héroïnes plus âgées des cinq autres nouvelles, les vérités surgissent d'une réflexion sur leur vie amoureuse et sexuelle. Les cinq histoires qui entrelacent désir et manque, présence et absence, proximité et distance dégagent le goût amer du doute et du regret. Une femme qui attend son amant plus jeune à l'hôtel («La belle indifférence»), une autre qui a fui la brutalité de son mari et son village du nord pour se réfugier chez une amie à Londres («Les abeilles»), Hannah dont le mariage est devenu une coquille vide et qui sur les conseils d'une copine s'engage sur la voie des amours tarifées («L'agence»), une dispute qui vire au drame («Elle l'assassina, lui qui était mortel») et une glaçante escapade en Finlande («Vuotjärvi»)

Outre une parfaite maîtrise de la narration (variation entre récits aux première, deuxième et troisième personnes), Sarah Hall s'empare des mots de façon unique. Une écriture viscérale dont la très belle traduction d'Eric Chédaille rend la fulgurance. Magnifique et vertigineux d'intelligence.


Florence Cottin-Bee
( Mis en ligne le 01/03/2013 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2013

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire