Lionel
Shriver
Tout
ça pour quoi
Traduit
de l'américain par Michèle Lévy-Bram
EAN13
: 9782714448002
ISBN
:978-2-7144-4800-2
Éditeur
:Belfond
Collection Littérature
étrangère
Nombre
de pages :540
Dimensions
: 25
x 16 x 4 cm
Prix
: 23 €
Le
Bon Berger
Lionel
Shriver aime mettre à mal les idées reçues et questionner les
certitudes lénifiantes que la société nous impose. Ses précédents
romans traduits en français qui traitent sans complaisance de
l'amour maternel (Il faut qu'on parle de Kévin, Belfond 2006,
J'ai lu, 2008) du sentiment amoureux (La Double Vie d'Irina,
Belfond 2009, J'ai lu, 2010) et de la rivalité professionnelle
au sein d'un couple (Double Faute, Belfond 2010, J'ai lu, 2012) en
apportent la preuve éclatante.
Le
sujet auquel elle s'attaque dans Tout ça pour quoi lui permet
un nouveau coup de pied dans la fourmilière des bons sentiments et
des convenances. La maladie et la mort sont au centre de ce dernier
opus qui se révèle non seulement particulièrement percutant et
dérangeant dans le propos mais regorge également d'un humour
salvateur.
Depuis
longtemps, Shep Knacker rêve de quitter New- York pour aller vivre
loin d'une société occidentale qui ne lui convient pas. Il a
d'ailleurs vendu sa prospère entreprise de bricolage afin de mettre
de côté le pactole qui autorisera la réalisation de cette
« Outre-vie » . Il y travaille désormais comme
salarié en attendant que sa femme Glynis accepte de franchir le
pas. Elle l'a certes accompagné dans de nombreux « voyages
d'étude » à la recherche de ce pays de cocagne mais n'a
jamais voulu se laisser séduire par les différents endroits
explorés.
Comme
le regrette son meilleur ami, Jackson Burdina, il fait partie des
« Pigeons » qui par opposition aux
« Profiteurs » paient sans broncher pour un état
escroc . Shep a accepté jusqu'alors ce rôle de vache à lait que le
système et ses proches lui ont attribué, sans doute par esprit
velléitaire mais aussi par conviction morale (en matière
d'onomastique, Lionel Shriver ne laisse rien au hasard et son
Shepherd se rapproche bien sûr d'une figure christique). Cependant,
les années passant il ne supporte plus que son désir profond reste
un fantasme. Pour la première fois de sa vie, Shep a donc décidé
de passer à l'acte et acheté trois billets non remboursables pour
Pemba, une île située dans l'archipel de Zanzibar en Tanzanie. Si
Glynis et leur fils Zach acceptent, ils partent ensemble, sinon Shep
part seul. Malheureusement le moment est mal choisi, à l'issue de ce
qui s'annonçait comme un ultimatum sans possibilité de négociation,
Glynis annonce à son mari qu'elle va avoir besoin de son assurance
maladie. Le diagnostic est inquiétant, elle souffre d'un
mésothéliome du péritoine, un cancer rare et virulent. Shep peut
défaire ses bagages.
La
suite du roman est une condamnation sans appel du système de santé
américain (auquel la réforme de Barak Obama qui coïncidait avec la
sortie du livre aux Etats-Unis n'a selon Lionel Shriver pas changé
grand-chose) et un portrait au vitriol de l'industrie de
l'assurance-maladie qui s'engraisse en ruinant les malades. Au fil
des mois et des traitements hors de prix et non remboursés, le
compte en banque de Shep, pourtant bien garni au départ, fond comme
neige au soleil. Combien Shep va-t-il dépenser pour acheter quelques
semaines de vie supplémentaires à Glynis dont la maladie est
incurable ? Tout cet argent pour quoi ? Par ailleurs est-il
déontologique pour un médecin de vendre un espoir qui permet
seulement au patient de se réfugier dans le déni et faire fi de sa
dignité en jouant avec la vérité. Les métaphores guerrières
semblent bien dérisoires lorsque le combat est perdu d'avance. On
comprend la violence de la charge en écoutant Lionel Shriver
expliquer que le personnage de Glynis est inspiré par une amie très
proche. Les faits et les chiffres utilisés ne relèvent donc pas de
la fiction.
On
ne peut toutefois pas réduire Tout ça pour quoi à une
simple dénonciation de l'acharnement thérapeutique dans une société
qui refuse d'envisager la mort. Lionel Shriver se penche avec
subtilité et honnêteté mais surtout sans aucun angélisme sur ce
que la maladie modifie souvent en mal dans le comportement de chacun
et dans les rapports humains. Les intrigues secondaires exploitent le
même thème et viennent étoffer l'analyse. Un autre personnage est
en effet condamné à moyen terme, il s'agit de Flicka, seize ans, la
fille de Jackson, atteinte de dystonie familiale, une maladie
dégénérative qui rythme le quotidien de la famille depuis qu'elle
est née et apparente sa vie à un enfer qu'elle reproche aux autres
de lui imposer.
Rien
de particulièrement hilarant à première vue, peut-on penser à
juste titre. Eh bien, que l'on se détrompe !
Les
coups de griffe portés à un système inique et une démocratie à
la dérive
par
Lionel Shriver, Américaine d'origine mais Londonienne d'adoption
semblent provoqués par la rage de voir son pays devenu un
« attrape-couillon » à mille lieues du projet
des Pères fondateurs. C'est drôle mais l'humour se voile
d'amertume. Dans le registre des rapports humains, la romancière
s'amuse à traquer bassesse, hypocrisie ou encore compassion de bon
aloi et fait mouche sans effort. Le tour de force se situe pourtant
ailleurs, le ton qu'adopte Lionel Shriver fait penser à celui de
Pierre Desproges quand il évoquait sa maladie. Le refus obstiné de
l'auto-apitoiement et la volonté féroce de pouvoir rire de tout,
même du pire.
Il
n'y a donc rien d'étonnant à voir ce pied de nez à la bienséance
s'achever sur une note joyeuse. Pour le plus grand plaisir du
lecteur !
Florence
Cottin-Bee
(Mis en ligne sur parutions.com le 15/02/2012)
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2012
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