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dimanche 22 novembre 2009

Jennifer Johnston : Un Noël en famille


Jennifer Johnston
Un Noël en famille
Traduit de l’anglais (Irlande) par Anne Damour
Belfond Etranger
20 €, 264 pages
ISBN : 978-2-7144-4475-2


Conte d’automne

« ‘Il reprend connaissance’ Ma tête était pleine de réverbérations multicolores mais j’entendais les mots …. Je ris intérieurement et la douleur surgit. Par vagues, envahissant mon corps et ma tête. Pas une parcelle de mon être n’était épargnée. »

Après un grave accident de voiture, Henry, la cinquantaine, se réveille à l’hôpital, le corps brisé. Auprès de lui, Stéphanie, son ex-femme prend les choses en main. Charlotte, pour qui Henry a abandonné sa famille n’ayant pas survécu à ses blessures, il est sans doute temps de tourner la page du passé et de pardonner. Donough et Ciara, leurs deux enfants y sont prêts.
Malheureusement pour Henry, son accident l’a rendu presque totalement amnésique et la douleur physique se double d’une douleur morale insupportable. Dépouillé de son passé, vierge de souvenirs, il n’est plus « une vraie personne » mais un fantôme sans réelle identité.

On retrouve dans Un Noël en famille, quinzième roman de la subtile Irlandaise plusieurs de ses thèmes de prédilection : les dysfonctionnements familiaux et les drames qu’ils entraînent, la fragilité des individus et la difficulté d’être soi, la sexualité et ses interdits – le tout sur fond d’Irlande contemporaine. Des sujets souvent douloureux traités avec cette même infinie délicatesse servis par une prose poétique qui suggère plus qu’elle n’affirme, laissant au lecteur la possibilité de combler les espaces et de reconstituer la trame.

Une nouvelle fois également, la forme épouse le fond. Aux souvenirs qui, peu à peu, de manière désordonnée, reviennent à la surface et redonnent à Henry l’espoir de savoir qui il est font écho des analepses éclairantes qui ne se soucient pas de chronologie et des « instants de vie » révélateurs qui surgissent dans la narration au gré des variations de points de vue.

Face à Henry qui au fil des pages retrouve la mémoire et donc un sens à sa vie, un autre personnage suit la trajectoire inverse : Tash, sa mère, artiste quelque peu fantasque, qui a toujours préféré la peinture à Henry et George, ses deux fils. Cette femme il y a encore peu flamboyante et sûre d’elle-même n’est plus désormais que l’impuissante victime des prémices de la sénilité et de la démence. Sa descente aux enfers automnale s’achève le soir de Noël, au début du réveillon – scène tragi-comique dans laquelle Tash s’écroule devant la famille réunie.

Un destin commun à tous les «absurdes mortels », référence à une célèbre réplique shakespearienne tirée du Songe d’une Nuit d’Eté et titre original du roman. Si les allusions à l’œuvre du dramaturge élisabéthain sont multiples et habituelles chez Jennifer Johnston Un Noël en famille ne faillit pas à la règle avec par exemple le procédé des jumeaux et du travestissement dont Henry fait les frais à son insu. Le questionnement sur la responsabilité individuelle qui parcourt le roman n’est pas non plus sans rappeler les interrogations shakespeariennes.

Jennifer Johnston sait formidablement bien tirer des choses de la vie des vérités essentielles. Quel régal !

Florence Cottin

(mis en ligne sur parutions.com le 18/11/2009)

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